Nous partîmes cinq, mais par de prompts désistements, nous nous vîmes trois puis deux en arrivant au port. Du 13 au 15 juillet, j’ai participé à un triathlon en trois jours et trois tables. Agapè Substance, Septime et La Grenouillère. J’ai fini deuxième derrière Laurent Vanparys, sans qui rien de tout cela ne serait arrivé. Un exploit en soi. Chronique gastronomico-sportive.
Premier jour : Saut en longueur
Un trottoir étroit sur une rue passante. On regarde à droite, à gauche. On ouvre, on s’engouffre, et l’on referme vivement derrière soi la discrète porte en verre teint. À l’intérieur, des miroirs aux murs et au plafond. Ca n’est ni un bordel ni un sex-shop. Ici, la chair est joyeuse et la jouissance non simulée. Agapè Substance, en toute modestie. Le lieu, un long couloir éclairé d’une lumière jaune et cerné de glaces réfléchissantes, évoque l’intérieur d’un kaléidoscope, les paillettes en moins. Celui d’un labyrinthe de fête foraine, aussi. On y croiserait sans s’étonner Orson Welles et Rita Hayworth, échappés de La Dame de Shanghai. On y rencontre en fait l’un des associés fondateurs de la petite entreprise Agapè, Laurent Lapaire, en salle, l’œil qui frise et les quilles qui dansent. Plus réservé, en cuisine, on aperçoit David Toutain, une grosse pince à épiler entre les doigts et un feutre sur l’oreille. Le chef officie sur un plan de travail qui n’est que le prolongement de la table de ses hôtes. Un cauchemar pour le service, un paradis pour les sens.
D’un bout à l’autre, comme sur un podium de la Fashion Week, le potager défile dans l’assiette. Berce, benoîte urbaine, oxalys, galanga, reine des prés, hibiscus, verveine mais aussi carotte, courgette et betterave. Tourteau, merlan, lotte ou pigeon jouent les faire-valoir de luxe. Toutain monde. On supporte même les chaises hautes sans dossier malgré son grand âge et ses vertèbres endolories. Ce soir là, pour marquer le coup, un long bec de carafe heurte le plafond et s’éparpille façon puzzle en larmes de verre sur un crâne. Au final, dix-sept services gagnants. Sans perdre l’équilibre et moins d’un mois après l’ouverture. Ca s’arrose.
Nous voilà donc transportés chez Bertrand Grébaut (Septime). Où l’on tombe sur Jean-Pierre Robinot. Clin d’œil du festin : on a bu son Ange Vin, deux heures plus tôt, rue Mazarine. Cheveu rare mais long, visage noueux comme un cep, foulard, veste à damier blanc et noir, pantalon de baroudeur, tire-bouchon de sommelier dans une poche, des caisses plein le coffre du break. On boit et on l’écoute parler du vivant. Vivant. Le mot de la faim.
Agapè Substance
66, rue Mazarine 75006 Paris
Tél.: 01 43 29 33 83
www.agape-substance.fr
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