J'aime
bien Mathieu Carratier. J'ai croisé quelques fois ce bon journaliste de cinéma, je le lis souvent. Il
faut dire qu'on peut difficilement lui échapper. Ce stakhanoviste de la
pellicule ne sévit pas chez Franck Provost mais dans Première, abondamment, et
dans GQ, un peu. Enfin, bon, on se fiche pas mal de ces précautions liminaires,
et Mathieu Carratier encore plus, qui ne me connaît pas et a bien d'autres
réalisateurs à fouetter.
Si je
prends la plume aujourd'hui, c'est après avoir lu son billet mensuel sur le
cinéma dans la rubrique Buzz Culture du numéro de septembre du magazine
masculin dont tous les media planners et les bureaux de presse se gargarisent.
Il y est question du cinquième film de Jacques Audiard, Un
prophète, présenté à Cannes au printemps dernier, récompensé par un Grand
Prix, et sorti fin août en salles
Audiard m'a tuer
Entendons
nous bien. On sait depuis sa première bobine, Regarde les hommes
tomber, que Jacques Audiard est certainement l'un des meilleurs
cinéastes du monde. Si Un héros très discret, trop classique, était peut-être
un ton au-dessous, en revanche Sur mes lèvres et De battre
mon coeur s'est arrêté sont bouleversants. Efficacité de la mise en
scène, profondeur dans la direction des acteurs, maîtrise d’une narration
complexe et non-manichéenne, brutalité sensuelle de la caméra, le doute n'est
pas permis, ce "fils de" est un vrai grammairien du cinématographe,
un styliste inspir
C'est
dire si j'attendais ce prophète avec une impatience quasi mystique. Mais pas
dans un silence religieux. Mon trépignement était en effet légèrement teinté
d'angoisse en raison du tapage accompagnant la chose. Et c'est là qu'intervient
Mathieu Carratier. Que j'aime bien, que j'ai..., oui, enfin, vous voyez, quoi.
C'est sans doute injuste mais il va payer pour tous les autres. En fait, je
m'étais juré de ne rien écrire sur Un prophète, parce qu'un
amoureux déçu peut rapidement se transformer en tortionnaire vindicatif. Mais,
trop c'est trop.
Circulez, y a plus rien à voir
Je cite
Mathieu Carratier : "Présenté le troisième jour du festival de Cannes, Un
prophète (...) semblait avoir pris la compétition en otage. C'était sûr, on ne
verrait pas mieux d'ici la fin de la quinzaine... et c'est exactement ce qui
s'est passé." Pour le coup, le prophète n'était donc pas que sur l'écran
mais aussi dans le fauteuil du journaliste accrédité. Cette sentence définitive
est aussi sotte que la décision d’un arbitre qui arrêterait un match après un
premier but exceptionnel ou que celle de parents qui renonceraient à enfanter au prétexte que leur premier essai est particulièrement réussi. Rappelons au
passage que Inglourious Basterds, de Quentin Tarantino, est entré
en compétition après Un prophète. C'est le seul autre film de la
sélection officielle 2009 que j’ai vu et, franchement, malgré quelques
réserves, le kidnapping tarantinesque vaut bien la séquestration audiardienne
Le pire,
c’est que ça se gâte. Je cite encore : « Si la Palme lui a
échappé (comment ?), le film est revenu avec bien mieux : un Grand
Prix, déjà, et surtout une aura de chef d’œuvre que personne ne semble vouloir
démentir. Il faudrait être fou pour le faire. » Alors, là, donc, on n’est
plus dans la prophétie mais dans la fatwa. La messe est dite et quiconque
oserait élever la voix pour faire part de ses doutes passerait pour un dingue
tout juste bon à être enfermé dans une salle obscure, condamné à visionner les œuvres complètes
de Michel Vocoret
La suite
est à l’avenant. Je re-re-cite, en vrac : « (…) Un prophète est une œuvre comme
le cinéma français n’en a pas produit depuis… Jamais ? » La faux-dercherie
du point d’interrogation n’excuse même pas l’énormité du propos ; « un
film qui a le culot de durer 2h30 … » : moi qui ai le culot de mesurer
Le degré zéro de la critique
Non
seulement nous atteignons là le degré zéro de la critique cinématographique,
péremptoire et totalement dénuée d’argumentation, mais ce procédé lénifiant s’applique surtout à un film
raté. Le niveau d’ensemble des acteurs est certes remarquable, le cadre,
la lumière et la bande-son largement au-dessus de la moyenne, mais le scénario
ne tient pas la route une seconde. Qui peut croire à la prise de pouvoir aussi
fulgurante qu'inexorable de ce petit voyou sans charisme ni intelligence particuliers ? C’est
beaucoup trop elliptique et linéaire pour qu’on s’attache à ce gamin tellement
malin que son ascension irrésistible ne subit pas la moindre contestation et
culmine dans un happy end grotesque d’une immoralité sans nuance. Et je ne
parle même pas de la relation improbable entretenue avec le fantôme du type qu'il a égorgé comme un porc.
Tout est
d’ailleurs résumé dans la citation à peine croyable de Jacques Audiard et qui sert
de base à la conclusion de Mathieu Carratier : « La volonté (…) était
de faire un film très cher avec des gens qu’on ne connaît pas. » Ca c’est
du projet artistique. En rédigeant un critique très plate avec des mots qu’on
connaît trop, le critique idolâtre s’est hissé au niveau de son Dieu. Ainsi
soit-il
PS :
le public, pas si con que certains critiques voudraient le croire, ne s’y est
pas tellement trompé, malgré l'injonction qui lui était faite d'adorer Un prophète, dans la mesure où, avec un budget deux fois supérieur, celui-ci, après neuf semaines d’exploitation, n'avait attiré qu'à peine 250 000 spectateurs de plus que De battre mon cœur s’est arrêté ; pas de quoi casser trois doigts à un critique.
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